Source :http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-belges-furieux-98284par Dupont Serge samedi 30 juillet 2011
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Les "Belges furieux"La frénésie entraîne la frénésie disait Henri Bergson. Chaque époque de l’histoire qui se caractérise par un excès de luxe et de dépravation culturelle assiste en retour à l’émergence d’un mouvement vers l’austérité et la spiritualité : le stoïcisme chez les romains ; Saint François d’assise et les franciscains dans l’Italie du 13ème siècle ; Savonarole au temps des Borgia ; certains étudiants en 68 contre l’absurdité d’un certain progrès ; etc.
Qu’en est-il aujourd’hui ? A l’heure de l’ère du vide selon l’expression de Lyotard, où sont nos spiritualistes, nos indiens pratiquant le rite du Potlatch (ils avaient tout compris eux) ? Il y a quelque temps, en lisant le journal (La dernière heure), je suis tombé sur un article qui relatait les comportements d’un groupe nommé : « Les belges furieux », et qui pourrait témoigner de cette implacable répétition de l’histoire. L’article commençait par ses mots :« Avis à la population, des monstres ont envahi nos contrées, oui des monstres sanguins, cannibales même, cachez vos enfants qu’ils dévoreront sans pitié ! » (…)
Interloqué par de telles harangues, j’ai décidé de me renseigner par moi-même et d’aller à leur rencontre. Au bout d’une année de recherche intensive, j’ai enfin pu trouver leur camp. Ces belges furieux vivent en autarcie dans de modestes chalets à l’intérieur des forêts mystérieuses et profondes de la Wallonie. Le jour, ils vivent paisiblement — cultivant leur sol en chantant des odes aux oiseaux, ou encore ramassant quelques fruits et le peu de bois dont ils ont besoin pour le feu. De temps en temps, ils chassent à l’arc un noble sanglier dont la mort honorable s’accompagne d’une grande fête. Mais le soir, cette tranquillité se transforme en colère, en écume sur les lèvres, en explosion. En effet, ils sont en guerre contre l’homme vide — selon leurs propos, bien sur. Chaque nuit, ils enfilent leur pagne, se peignent le visage de sigles guerriers et s’arment de leur massue. Ils veulent : « écarter de l’homme ce qui n’est pas le propre de l’homme ». Ils ciblent en général les villages proches des forêts, afin de pouvoir s’enfuir facilement après leur action dévastatrice.
Voici leur mode opératoire : A l’heure où le village dort paisiblement, ils arrivent en courant, assoiffés, et en braillant le cri caractéristique des Eburons (une tribu gauloise) : « Yabadabadou ». Ce cri ancestral provoque la terreur chez tous les habitants qui ferment rapidement les volets et se réfugient dans leurs caves en attendant que les belges furieux finissent leur besogne. Ces derniers cassent tout objet superflu qui écarte donc « l’homme de l’homme » : les voitures qui empêche les hommes de marcher ; les téléphones qui empêchent les hommes de se voir ; les télévisions qui empêchent les hommes de penser ; les entreprises qui empêchent les hommes « d’œuvrer » ; les ordinateurs qui empêchent les hommes de faire des efforts, de mémoriser ou encore de lire, etc. Et leurs puissantes massues voltigent, fendant l’air ambiant, et massacrent ce vide fade et amorphe. Elles tuent le Moloch technique, l’immonde visage de l’homme vide.
Au moment où la police arrive, le premier des furieux avisé souffle profondément dans le cor. Le son rauque signe le fin des hostilités et les furieux aux mollets secs et nerveux s’enfuient dans la forêt. Les braves policiers, handicapés par une trop longue habitude en pays Moloch, s’essoufflent vite face à la virtuosité des Furieux. A l’agonie au bout de quelques enjambées — ils sont effectivement difformes et gros — et sans l’appui de leur voiture dans la forêt, ils abandonnent et s’en retournent à leur position préférée : assise, le regard fixe devant l’enchevêtrement d’images qui caractérise la télévision.
C’est ainsi que les belges furieux sévissent toujours. De temps en temps, des nouvelles dans les gazettes locales informent de leurs méfaits en les nommant par divers sobriquets tels que « pillards, sauvages, etc. »
Certains habitants des villages environnants se sont trouvés privés brutalement des objets qu’ils sacralisaient tant. Sont-ils pour autant mieux aujourd’hui ? Parlent-ils plus ? La seule chose que je sais, c’est qu’en passant dans ces villages dévastés, j’ai vu des enfants danser, jouer et rire. Ils se moquent bien de tout cela, eux, n’est-ce pas ?
Drôle d’expérience que mon séjour parmi les belges furieux. Qui sait, un jour, peut-être, les rejoindrais-je ?
p.s. Je garde secret toute information susceptible de localiser nos chers furieux.
Bien à vous !